Regards croisés
Déploiement du DUI interopérable dans le secteur du handicap
En ce début d’année 2023, le Collectif SI Social et Médico-Social Hauts-de-France est venu à la rencontre de la Nouvelle Forge et de l’APEI de Laon et de Saint-Quentin, trois organismes gestionnaires des Hauts-de-France œuvrant sur le champ du handicap.
Ces trois acteurs du territoire ont répondu à l’Appel à Projet ESMS Numérique, dans le cadre d’un projet d’acquisition d’une nouvelle solution logicielle DUI interopérable. Le Collectif SI les a interviewés sur ce dispositif et sur sa mise en place au sein de leurs différentes structures.
Nous remercions Monsieur Théophile DUCHANGE-LANNEVERE, Responsable du Département Communication & Développement du Siège mutualisé des APEI de Laon & de Saint-Quentin, ainsi que la Nouvelle Forge pour leur partage et la richesse des échanges. Découvrez sans attendre, leur retour d’expérience !
Pouvez-vous présenter votre association ?
La Nouvelle Forge : La Nouvelle Forge est une association qui regroupe des services et des établissements qui soignent et accompagnent des enfants, des adolescents et des adultes vivant avec un trouble psychique ou un handicap. Ainsi, depuis près de 70 ans, la Nouvelle Forge prend soin de plus de 2 500 personnes chaque année. Ses services et établissements se situent essentiellement dans la région Hauts de France, avec 21 lieux d’implantation dans le département de l’Oise et deux dans celui de la Somme.
APEI de Saint Quentin et Laon : Les APEI de Saint Quentin et de Laon sont des associations ancrées sur le département de l’Aisne depuis 1964 et affiliées au réseau Unapei.
Depuis 2016, l’APEI de Laon et de Saint Quentin travaillent main dans la main sur de nombreux sujets. Cela a débouché en 2018 sur la création d’une association d’associations : l’Unapei du Nord de l’Aisne, qui représente à elle seule 17 ESMS et plus de 800 personnes accompagnées. Le modèle de l’Unapei du Nord de l’Aisne a évolué vers une dynamique de mutualisation, puisque notre siège social et nos fonctions supports sont partagées.
Nous sommes dans une dynamique de travail en réseau, de coopération.
Vous avez répondu à l’AAP ESMS Numérique pour faire l’acquisition d’un logiciel DUI. Quelles ont été vos motivations ?
La Nouvelle Forge : Le projet de changer de DUI est inscrit dans un projet plus global : le schéma directeur des Système d’Information (2020-2024), qui traduit la politique de l’association en termes de systèmes d’information. Ce schéma comprend 12 plans d’action, dont le changement de DUI.
Notre association disposait déjà d’une solution logicielle mise en place pour les besoins de la certification au sein des activités relevant du secteur sanitaire. Cet outil ne répondait pas aux besoins propres au secteur médico-social, nous voulions pouvoir bénéficier d’un outil adapté.
Nous avons répondu à l’appel à projet en phase d’amorçage, en avril 2021 et nous avons eu la chance pouvoir candidater seuls car nous avions le nombre de FINESS géographiques requis.
Le fait de candidater au programme ESMS Numérique, nous a permis à la fois de financer notre projet mais aussi de bénéficier d’une aide sur certains points organisationnels et techniques.
APEI : Pour nous, ce projet s’est également inscrit dans une perspective plus globale du virage numérique, touchant le secteur médico-social, sur un champ plus large que simplement le logiciel métier. Cela englobe la gestion de la totalité de systèmes d’information, la numérisation de nos outils, la communication. Le DUI numérisé est une suite logique de ce virage numérique, de cette identité numérique que l’on doit réussir à développer. Ce projet s’est construit dans la continuité du développement des moyens de gestion et d’accompagnement de nos associations.
Il faut savoir que le projet d’acquisition d’un Dossier Usager Informatisé était inscrit depuis de nombreuses années dans nos projets pluriannuels d’investissement. Lorsque le programme ESMS a vu le jour, nous avions bien compris que c’était une opportunité financière mais, aussi un tournant vers un aspect obligatoire dans le
futur, en termes d’utilisation du DUI et des outils numériques tels que ViaTrajectoire ou Predice.
L’appel à projet ESMS Numérique représentait une réelle opportunité, de notre point de vue, car des projets de transformation numérique représentent des budgets conséquents.
Quel est l’avancement de vos projets ? A quelle étape en êtes-vous ?
APEI : Nous avons construit notre projet de DUI comme l’on construit un projet d’ingénierie de système d’information, avec des blocs. C’est-à-dire que l’on a, premièrement, identifié des blocs d’établissements prêts technologiquement à utiliser un DUI. Ce projet est un véritable tournant pour les professionnels dans la manière de concevoir l’accompagnement des personnes en situation de handicap, nous souhaitions donc éviter les blocages et proposer un outil performant et fonctionnel. Les établissements identifiés comme prêts constituaient le “bloc pilote”. Et les autres établissements constituaient un bloc nécessitant une transition numérique, avec notamment le passage à la fibre. Aujourd’hui, nous avons quasiment bouclé cette transition numérique tant sur les établissements de l’APEI de Saint Quentin que sur les établissements de l’APEI de Laon.
Parallèlement à cela, nous avons dû nous conformer à la procédure de marché public instituée dans l’appel à projet en 2022. Ce n’est pas un exercice auquel nous sommes habitués dans nos associations du secteur privé non lucratif, mais nous avons pu compter sur l’appui de notre coopérateur, le Groupe Ephese, qui lui est un acteur public. En complément, nous avons choisi de nous faire accompagner par un cabinet sur la partie marché public et RGPD. A l’issue de cette procédure de marché public nous avons retenu le logiciel IMAGO DU développé par l’éditeur Evolucare.
Nous sommes actuellement en phase de démarrage de nos premiers audits pour construire l’architecture et la base du logiciel. Nous voulons un paramétrage au plus proche de nos besoins, mais également au plus proche des attentes et des obligations en matière d’accompagnement. L’éditeur vient ainsi nous questionner sur notre mode de fonctionnement, nos process et procédures pour pouvoir effectuer ensuite les paramétrages adéquats. La prochaine étape sera le volet formation des équipes. Ces formations se feront par type de profil utilisateur : administrateur, référent et utilisateur du quotidien.
La Nouvelle Forge : De notre côté, nous avons été informés en avril 2021 que notre candidature avait été retenue et nous avons également démarré le processus de passation de marché public avec le RESAH au mois de mai-juin. Les phases d’auditions avec les éditeurs ont débuté en novembre 2021 et se sont achevées en mars 2022. C’est à ce moment-là que nous avons choisi l’outil Mediateam de l’éditeur Médialis/Berger-Levrault. Les process liés au programme ESMS Numérique permettent de garantir que l’éditeur s’engagera sur un cahier des charges complet et que l’outil répondra aux exigences réglementaires. D’un point de vue technique, l’accompagnement est très satisfaisant. D’un point de vue organisationnel, le fait d’entrer dans un process de marché public ralentit le projet.
Dans un premier temps, le cadre réglementaire du marché public nous a contraint à auditionner les 7 éditeurs qui s’étaient positionnés, il n’a pas été possible de pré sélectionner quelques éditeurs. Sur les 7, nous avions déjà identifié des solutions ne correspondant pas complètement à nos besoins, nous aurions souhaité poursuivre avec uniquement les 2-3 éditeurs les plus pertinents pour nous.
La phase de paramétrage avec l’éditeur est actuellement en cours de finalisation. Nous l’avons structurée en 3 blocs : un bloc de paramétrages commun à l’ensemble des services de La Nouvelle Forge couvrant le parcours et les dossiers administratifs, puis un bloc par métier (psychologues, éducateurs, infirmiers, etc.). Pour finir, nous avons instauré un bloc de paramétrage par service permettant de personnaliser et de faire apparaitre certains champs ou non en fonction des besoins. Lorsqu’un professionnel se connecte sur Mediateam, l’intérêt est qu’il ne retrouve que l’interface et les fenêtres dont il a besoin. Il n’y a pas un lot d’informations qui lui soit superflu à l’ouverture du DUI.
Parallèlement, nous avons commencé à mettre en place la formation des professionnels. Notre stratégie est de former des personnes relai en établissements pour pouvoir accompagner au mieux les équipes sur la prise en main de l’outil, ainsi que les nouveaux salariés. Nous avons donc des référents en cours de formation. Par la suite nous mettrons en place des formations dites “utilisateurs”, qui auront pour but d’accompagner toutes les structures et toutes les personnes sur l’usage de l’outil en fonction de leurs besoins. Le déploiement de l’outil se fera sur des sites pilotes, dans un premier temps. C’est l’occasion de comprendre les freins à l’usage du logiciel antérieur. Cette fois les professionnels sont au cœur du projet ce qui leur donne toutes les armes pour améliorer les usages à l’avenir.
Comment avez-vous fait pour converger le choix de la solution autour de vos besoins métiers ?
La Nouvelle Forge : C’est simple : les utilisateurs finaux ont été intégrés tout au long du projet.
Avant même de répondre au programme ESMS Numérique, nous avions construit notre cahier des charges avec une concertation de nos professionnels, afin d’identifier les besoins, les attentes de chaque structure de La Nouvelle Forge. Ensuite, nous avons transposé ce cahier des charges dans le cadre formalisé par la CNSA pour ce programme ESMS Numérique.
Dans les groupes d’auditions des éditeurs, nous avions inclus des utilisateurs finaux, qui utiliseront et alimenteront par la suite le DUI au quotidien. Dès ce stade, cela nous a permis de savoir si l’outil présenté correspondait ou non avec les besoins de chacun.
Comment travaillez-vous les usages avec les professionnels ? avec les usagers ?
APEI : Il peut y avoir des perceptions de cette informatisation du suivi et de l’accompagnement des personnes comme une automatisation et une deshumanisation. Notre vision est plutôt celle d’un gain de temps futur pour les équipes, en diminuant par exemple les temps de rédaction, avec des cases à cocher sur le logiciel, des pré-paramétrages. Nous envisageons également un gain de temps grâce aux indicateurs (ANAP ou autre) qui vont pouvoir ressortir automatiquement des logiciels. C’est de cette manière que nous envisageons l’usage du DUI : une mise au service de la qualité, de l’accompagnement des personnes et du développement de nos organisations, de nos établissement et services, et de nos modes d’accompagnement.
Nous voyons également un autre intérêt au DUI : la fluidification de la communication en réseau par le biais de la MSS et du DMP. Cela s’inscrit dans une dynamique de parcours de vie de la personne. Il existe également ces modules de jonction famille qui vont permettre à l’entourage (parents, frère, sœur…) de connaitre l’activité de son proche. Ce n’est pas parce qu’on numérise que l’on déshumanise !
La Nouvelle Forge : En ce qui nous concerne, nous avons évalué l’usage de l’outil actuel, avant le déploiement de Mediateam, afin de déterminer un niveau de maturité par structure. Les services ambulatoires et les équipes mobiles (SAMSAH, SESSAD…) ont un très bon usage de l’outil actuel. Pour ces derniers, nous n’allons pas former l’ensemble de l’équipe, mais uniquement des référents. En revanche, pour les établissements et services proposant un accueil de jour, le niveau d’usage de l’outil actuel n’est pas suffisamment confortable pour ne former qu’un référent et ainsi diffuser les bonnes pratiques auprès des équipes.
Au-delà des formations, la reprise des données du DPI actuel vers Médiateam marquera le déploiement sur l’ensemble des établissements Nouvelle Forge.
Médiateam intègre un portail dédié aux usagers ou leurs familles. Nous ne déploierons cette fonctionnalité, qu’une fois que notre déploiement sera finalisé pour nos établissements. Pour sensibiliser et accompagner les usagers à l’utilisation de Mon Espace Santé, à la messagerie sécurisée citoyenne et au DMP nous pourrons éventuellement nous appuyer sur Santé Numérique, qui propose différents ateliers.
Concernant les indicateurs d’usage du logiciel inhérent au programme ESMS Numérique, tous les usagers de nos établissements auront leurs dossiers et leur projet d’accompagnement sur Médiateam.
Les demandes de notre financeur sur l’atteinte des cibles sont parfois un peu difficiles à mettre en place au regard de la réalité de terrain, nous devons nous assurer que les personnes avec lesquelles nous travaillons et communiquons utilisent cette MSS. Sur la partie DMP et MSS, cela ne fait pas du tout partie des pratiques actuelles de nos professionnels, les équipes rencontrent des difficultés pour l’usage de ces outils (MSS). C’est un vrai accompagnement au changement à mener auprès des professionnels, qui, demain, devront avoir le réflexe d’appuyer sur le bon bouton pour envoyer les documents de manière sécurisée. Il est certain que ce changement de pratiques impacte tout le monde, c’est un processus long à mettre en place.
L’APEI de St Quentin a constitué une grappe avec le Groupe Ephese, pour répondre à l’AAP ESMS Numérique et vous êtes devenu porteur de projet. Pourriez-vous nous dire comment vous avez constitué ce partenariat et pourquoi vous vous êtes porté volontaire pour assumer ce rôle ?
APEI : Il y a un aspect obligatoire et logique pour les petites organisations de constituer une grappe. L’APEI Laon et de Saint Quentin travaillaient déjà ensemble. Nous avions aussi l’habitude de travailler avec le Groupe Ephese, avec lequel nous avions déjà monté des projets. Nous nous connaissons bien et nous apprécions travailler ensemble. C’est donc tout naturellement que nos DG respectifs aient décidé de coopérer. Spontanément, l’APEI de Saint Quentin a proposé d’être porteur du projet. Lorsque nous sommes sur des projets en co-portage avec le Groupe Ephese, chaque organisme endosse l’un après l’autre le rôle de porteur juridique et financier.
Nous avions également estimé que c’était peut-être un peu plus simple en termes de procédure de gestion des fonds du programme ESMS Numérique que ce soit l’APEI de Saint Quentin le porteur du projet, puisque nous sommes une structure de droit privé
Que conseiller à un établissement qui souhaite s’engager dans un projet d’acquisition ou de mise en conformité de son DUI ?
La Nouvelle Forge : Les facteurs clés de réussite que nous avons identifiés à La Nouvelle Forge sont nombreux. Parmi eux, nous pouvons en retenir cinq :
- La maturité du SI : un SI de qualité, sécurisé, avec des réseaux performants, du matériel de qualité.
- La capacité de l’organisation à fonctionner en mode projet (permettant un démarrage assez rapide).
- Avoir des compétences en interne, tant d’un point de vue technique que de gestion de projet.
- Avoir des instances décisionnaires impliquées : afin de faire avancer les projets d’un point de vue stratégique
- Intégrer les équipes du début à la fin du projet.
Ces prérequis, sont selon nous ce qui nous permettra d’avancer sereinement sur l’acquisition d’une solution DUI.
APEI : Il faut y aller !
Si on regarde les trajectoires des politiques publiques depuis que ESMS Numérique est sorti, et même avant, en lien avec les modes d’accompagnement hors-les-murs par exemple, on voit une évolution de tendances vers le décloisonnement, la numérisation. Le secteur médico-social est dans une logique de fluidification du parcours de vie de la personne accompagnée. Aujourd’hui c’est un effet incitatif, mais on peut se demander si demain il n’y aura pas un effet contraignant des pouvoirs publics.
C’est forcément une forte charge de travail au début, mais derrière c’est un outil important dans les modes d’accompagnement de la personne. Nous travaillons sur ce sujet depuis avril 2020, et même si les bénéfices à court terme ne sont pas évidents à voir, nous sommes convaincus des bénéfices à moyens termes pour nos organisations.
Notre conseil serait de développer une culture numérique dans les structures avec une approche très pédagogique et participative.
Selon vous, quels sont les points de vigilance à avoir sur le projet ?
La Nouvelle Forge : Le premier point de vigilance serait organisationnel. Nous sommes aujourd’hui quasiment à l’aboutissement du paramétrage et de la formation, et à ce stade, ce n’est pas moins de 100 professionnels qui ont participé aux différentes phases du projet (rédaction du cahier des charges, participations aux auditions avec les éditeurs, participation aux sessions de paramétrages de l’outil). Ceci entraine de nombreuses absences dans les établissements autour de l’accompagnement. Les directeurs de structures doivent pouvoir organiser la poursuite de l’activité. Il faut avoir conscience de cet aspect et sensibiliser les directions afin qu’elles portent le projet, elles ont un vrai rôle à jouer.
L’implication des équipes est essentielle : le projet ne peut pas avancer sans elles. Des craintes ont été exprimées à l’annonce de ce changement d’outil, mais leur implication très tôt dans le projet, le travail de communication déployé, leur a permis de comprendre les enjeux du projet et de les rassurer sur leurs futurs usages. L’outil Dossier Usager Informatisé est certes un support permettant de retracer le parcours de nos usagers, son contenu est le reflet de la qualité de l’accompagnement que nous prodiguons.
Nous remercions la Nouvelle Forge ainsi que l’APEI de Laon et de Saint-Quentin pour leur témoignage sur le déploiement du DUI interopérable au sein de leur organisme gestionnaires.
Le Collectif SI Social et Médico-Social souhaite à ces trois acteurs une bonne poursuite dans leur projet !