Regards croisés

La coopération, un enjeu essentiel dans la réponse à l’appel à projet ESMS Numérique

En ce début d’année, le Collectif SI Social et Médico-Social Hauts-de-France est allé à la rencontre de l’EHPAD Saint Riquier et de la Fondation Schadet Vercoustre, deux organismes gestionnaires des Hauts-de-France œuvrant sur le champ des personnes âgées. 

Ces deux acteurs du territoire, porteurs de projet pour des grappes émergeantes, ont répondu à l’Appel à Projet ESMS Numérique 2022, dans le cadre d’un projet d’acquisition d’une nouvelle solution logicielle DUI interopérable. Le Collectif SI les a interviewés sur la coopération des acteurs au sein de la grappe, essentiel à la réponse à l’appel à projet, sur le dispositif et sa mise en place au sein de leurs différentes structures. 

Nous remercions Monsieur Oliver MALLET, Directeur des EHPAD de Saint-Riquier et Crécy en Ponthieu, ainsi que Madame Audrey BERNARD, Directrice de la Fondation Schadet Vercoustre pour leur partage et la richesse des échanges.  

Découvrez sans attendre, leur retour d’expérience ! 

Pouvez-vous vous présenter et nous indiquer pour quelles raisons avez-vous souhaité vous engager dans un projet ESMS Numérique ? 

EHPAD St Riquier : Bonjour, je suis Olivier Mallet, Directeur d’établissements médico-sociaux de la fonction publique hospitalière depuis 2009. Je dirige aujourd’hui deux EHPAD situés dans la Somme : l’un à Saint Riquier accueillant 186 résidents, l’autre à Crécy-en-Ponthieu qui accueille 91 résidents.   

Ces établissements sont en direction commune depuis le 1er février 2022.   

J’ai constaté que, dans le secteur médico-social, nous avons un grand retard à combler sur le sujet du numérique. Le Dossier de l’Usager Informatisé (DUI) est quelque chose qui est, à mon sens, essentielle dans la maitrise de nos processus, dans la traçabilité, dans la possibilité de partage des informations entre les différents intervenants, avec les familles et avec les résidents, c’est pourquoi il me semblait important d’embarquer mes deux établissements dans ce projet.   

Tout en sachant qu’il y a également une priorité au niveau des Agences Régionales de Santé, de la CNSA pour nous accompagner dans ce déploiement. Il fallait saisir cette opportunité !   

  

Fondation Schadet Vercoustre : Bonjour, je suis Audrey Bernard, Directrice de La Fondation Schadet Vercoustre, qui est une « petite fondation » évoluant au niveau national. Le projet de la fondation est de dupliquer le modèle du Bien Vieillir qu’elle expérimente actuellement dans le reste de la France soit un agrandissement des établissements associés à une Résidence sénior, une Crèche et un Pôle de prévention santé. 

Au quotidien, nous rencontrons, comme dans les établissements de M. Mallet, des problématiques d’accès et de partage de données de santé comme la gestion d’une hospitalisation en urgence avec transmission du DLU en version papier, ou encore, la prise en compte de l’historique de prescription dans le cadre d’une pathologie dermatologique.  

Reste un travail à engager au niveau de la coopération entre les différents acteurs (hôpital, médecine de ville, ESMS), la traçabilité étant devenue un enjeu majeur du fait d’une prise en charge multiple de l’usager. L’ensemble des acteurs de l’écosystème doit y contribuer. 

Au sein de l’EHPAD, tous les résidents disposent d’un Dossier Médical Partagé depuis 2019 et depuis peu, d’une Identité Numérique de Santé (INS) qualifiée. Nous avions réellement le souhait de poursuivre cette dynamique. 

Vous avez répondu à l’AAP ESMS Numérique dans le cadre d’une grappe multi organisme gestionnaire. Pourriez-vous nous expliquer comment vous avez réussi à trouver des partenaires ? 

O. Mallet : Sur ce point-là, c’est l’accompagnement du Collectif SI Hauts-de-France qui nous a permis de nous mettre en relation avec d’autres organismes gestionnaires.  

L’ensemble de la grappe est utilisatrice de la même solution logicielle et nous avons répondu à cet appel à projet dans le but d’acquérir la version Ségur de la solution. 

Initialement, nous sommes entrés dans une grappe qui n’était pas celle correspondant à cet objectif. N’ayant pas forcément été bien conseillé par mon éditeur, j’ai souhaité réorienter le projet. Le Collectif a eu ce rôle de de requalification du projet auprès des établissements.   

A. Bernard : De notre côté, nous avons été mis en relation par l’éditeur. Le dénominateur commun était, pour nous aussi, l’intention d’acquérir une même solution logicielle. 

Le Collectif a pris ensuite le relais de la mise en lien, pour mettre en place l’appui méthodologique et a permis de fédérer les coopérateurs à plusieurs niveaux : la poursuite de l’effort collectif pour donner suite à la mise en relation, mais également décoder les divers termes complexes par des mots simples. Au départ, aucun directeur n’avait réellement compris les tenants et aboutissants de l’appel à projet ESMS Numérique. Le Collectif nous a aussi apporté un appui méthodologique pour concevoir le projet et nous a rassuré sur l’ensemble des tâches à effectuer. 

Il n’est pas nécessaire d’être aguerri à la gestion des SI. En revanche il faut avoir une bonne compréhension des différentes dimensions du projet pour être au rendez-vous des engagements et cibles d’usages qui concernent tous les coopérateurs. Nous devons tous y arriver, c’est un objectif partagé. 

Si j’ai bien compris, vous ne connaissiez pas la totalité des partenaires avant de travailler sur l’émergence de ce projet. Comment avez-vous réussi à gérer cette complexité ?  

A. Bernard : C’était assez particulier parce que la grande majorité des coopérateurs de la grappe ne se connaissait pas avant d’initier le projet mais chacun était volontaire pour s’engager.

Le diagnostic de maturité SI partagé nous a permis de fonder la coopération. Nous avons réalisé un état des lieux individuel, afin de connaître le niveau de maturité initial de la grappe, ce qui nous a permis de dégager des axes de travail et mettre en lumière le chemin à parcourir par l’ensemble des structures. Nous avons également affiné nos besoins pour élaborer le cahier des charges AMOA (Aide à Maitrise d’Ouvrage), ce qui nous a permis de concentrer l’effort d’accompagnement là où il était nécessaire qu’elle intervienne. Et enfin, nous avons identifié les coopérateurs au sein de la grappe qui étaient plus avancés (DMP, INS…) pour qu’ils puissent présenter leur retour d’expérience. 

Ce travail nous a permis de prendre conscience que si un établissement est en difficulté, cela concerne l’ensemble du groupe. Nous n’avons pas tous les mêmes forces ni les mêmes faiblesses. Il y a une émulation collective qui se crée. 

Au sein de la grappe, nous sommes plusieurs à avoir la même vision, il faut que le projet avance !  

Pouvez-vous présenter votre projet en cours ? Son état d’avancement ? Et les gains apportés par ce projet ?

O. Mallet : Nous faisons partie d’une grappe un peu complexe de 15 organismes gestionnaires représentants 18 EHPAD. Nous avons des statuts différents : des EHPAD publics, des EHPAD associatifs, des EHPAD relevant du domaine privé lucratif. Ce sont des établissements de taille différente et de secteur géographique différent. Pour autant, ils sont tous situés en ex Picardie mais sur deux départements différents (avec une grande représentation de l’Aisne).  

Nous avons déposé un projet d’acquisition d’une nouvelle solution logicielle en septembre 2022. Nous avons reçu les accords de financement de la CNSA et de l’ARS   en  fin  d’année  2022,  puis  en  février  2023,  nous  avons  eu  une  réunion  de

cadrage avec l’ARS et Sant& Numérique afin de fixer les premières échéances et le mode de reporting des indicateurs dans la phase de mis en œuvre du projet.   

Nous sommes actuellement dans la phase d’installation de notre gouvernance. Nous avons eu notre premier comité de pilotage le 13 mars 2023, ce qui nous a permis de nous connaitre et de sceller le fait que nous allons travailler ensemble pendant près de 18 mois. Nous avons commencé à travailler sur notre macro-planning, sur la composition du comité de suivi opérationnel et nous avons réfléchi à la procédure de recrutement de l’AMOA marché et de l’AMOA projet. Dans ce macro-planning, nous évaluons la durée de la phase de recrutement de l’AMOA, d’auditions des éditeurs et passation de marché à 6 mois.  

Pour les établissements que je dirige, ce projet s’inscrit pleinement dans une évolution d’organisation de notre système d’information, dans une évolution de notre architecture réseau et dans la numérisation de nos processus. Concernant la gestion de nos SI, il y a en premier lieu un gain de sécurisation de notre architecture informatique, qui fait partie des prérequis. Aujourd’hui, mes établissements sont très fragiles en termes de sécurisation de nos données et ne sont pas les seuls dans ce cas. 

La solution logicielle interopérable avec les services socles permettra une centralisation des données et ainsi l’amélioration de l’accompagnement des usagers et la continuité des soins. Notre souhait est d’étendre, d’améliorer les usages du DUI par les professionnels dans nos établissements. Cette solution nous permettra aussi d’ouvrir un espace pour les représentants des résidents, leurs proches, leurs familles, de façon à partager plus facilement avec eux.   

L’interfaçage attendu entre le Dossier Usager Informatisé et le Dossier Médical Partagé, nous permettra de fluidifier les échanges d’informations entre professionnels. Ce projet contribuera à améliorer la traçabilité des soins et à sécuriser le circuit des médicaments. 

Un accompagnement au changement de pratiques va être opéré auprès des professionnels de nos établissements, puisqu’on va passer d’une culture papier et orale, à une culture informatique. Nous avons comme partout ailleurs des professionnels qu’il va falloir accompagner et former dans ces nouveaux usages. 

Voyez-vous un intérêt à coopérer et mutualiser sur ce type de projet ?  

A. Bernard : En ce qui nous concerne, initialement, nous nous serions lancés dans ce projet seuls mais la coopération est un prérequis de l’appel à projet. L’intérêt est multiple : le partage d’expérience entre les coopérateurs, la mutualisation des compétences, mobilisation des expertises des uns et des autres au profit de la grappe (procédure de marché public, interopérabilité DMP, déploiement de l’INS…). C’est utile car nous ne sommes pas tous au même niveau sur ces différents aspects. Nous pouvons également trouver de l’intérêt par le partage des coûts des formations, la mutualisation des travaux (comme l’adaptation des documents d’entrée par exemple pour demander l’autorisation aux résidents) et l’anticipation des questionnements, ou encore, l’entraide. Ce point est assez important lorsqu’un coopérateur rencontre des difficultés. Pour finir, l’investissement matériel avec l’amélioration notamment, du wifi dans l’établissement, afin accéder au logiciel est un avantage et un exemple de retombée positive permettant d’améliorer la qualité de vie au travail.

Aussi, l’AMOA nous rassure quant à la faisabilité du projet. Sans elle, le déploiement dans les 14 établissements ne serait pas possible. 

  

O. Mallet : Pour nous, cela peut-être encore un peu tôt pour le dire, mais je pense que oui. En tout cas, dans les premiers travaux que nous avons menés ensemble. Dans la constitution de la grappe et dans la constitution de la réponse à l’appel à projet, je sens que cette mutualisation va nous enrichir. Nos EHPAD étant assez différents les uns des autres, nous allons pouvoir partager nos expériences, nous enrichir des questionnements et situations de chacun. Cela devrait nous aider dans la finalisation de notre projet et dans l’atteinte de nos objectifs.  

Vous vous êtes porté volontaire pour assumer le rôle de porteur de projet. Pourquoi et quel(s) bénéfice(s) en retirez-vous ?   

O. Mallet : J’ai proposé que l’EHPAD de Saint Riquier soit porteur de projet car il s’agit d’un établissement important par sa taille. A mon sens, l’enjeu est stratégique pour tous les établissements, mais sans doute davantage pour des établissements comme le nôtre.  

De plus, je souhaitais faire profiter à la grappe de mon expérience passée. J’ai travaillé durant 25 ans chez France Telecom/orange en déploiement et pilotage de projet. Mais surtout, j’ai répondu, lors d’une expérience précédente, à l’appel à projet ESMS Numérique en phase d’amorçage, pour un organisme gestionnaire d’envergure départementale, issu du secteur PH et implanté dans les Ardennes. C’est fort de ce retour d’expérience, et ayant une affinité pour les projets SI, que je me suis porté volontaire auprès de mes collègues.   

Sachant que l’établissement porteur est gestionnaire des subventions octroyées à la grappe, nous serons chargés d’honorer les différentes factures et prestations qui seront émises dans le cadre du projet en accord avec les instances de gouvernance de la grappe. 

A. Bernard : De notre côté, nous avions également répondu à l’appel à projet « Centres de Ressource Territoriaux » (CRT), en partenariat avec une vingtaine de coopérateurs. Il s’inscrit dans une dimension ressource pour le territoire par une déclinaison de services. Le développement des systèmes d’information vient en support de ce processus. De ce fait, il était évident que l’établissement fasse partie du dispositif et sans autre porteur, la Fondation s’est proposée pour ce rôle.

Cette fonction met du poids sur nos épaules dans la mesure où l’on porte le projet pour les 14 structures et pas uniquement pour soi. Mais, dans les faits, chacun est impliqué.  

Cela demande également du temps de préparation comme les réunions mensuelles de pilotage, le temps du choix de l’AMOA, ou encore, la participation aux réunions de Sant& Numérique et un temps de restitution auprès des coopérateurs. Ceci étant, la responsabilisation de chacun est importante. Il revient aux coopérateurs d’être au rendez-vous des engagements et de remonter des documents et indicateurs de qualité. 

Que conseiller à un établissement qui souhaite s’engager dans un projet d’acquisition ou de mise en conformité de son DUI ?  

O. Mallet : Mon conseil serait de ne pas attendre le programme ESMS Numérique, même s’il permet effectivement de bénéficier de financements et d’un accompagnement pour travailler sur la sécurisation, l’urbanisation des systèmes d’information ainsi que sur l’hébergement des données. Ces éléments font l’objet d’un autodiagnostic qui est repris dans le dossier présentant le projet.   

Nous espérons aller vers une solution full web. Pour que l’outil fonctionne bien, il faut avoir un réseau internet qui soit performant. C’est une chose que j’avais anticipé avant le démarrage du projet DUI et qui devrait être réglé pour mes établissements d’ici la fin du mois de mars 2023. Même si nous avons de très nombreux enjeux et projets à gérer au sein de nos établissements, il faut d’ores et déjà engager des choix stratégiques sur cet aspect. D’autre part, nous avions un parc informatique qui était obsolète, avec des versions du système d’exploitation « Windows » dépassées. Nous avions également anticipé le remplacement des équipements informatiques en 2022 car les financements ESMS Numérique ne peuvent pas financer l’intégralité des équipements techniques que l’on sera amené à déployer ou à renouveler en vue de l’installation de la future solution logicielle et il faut en avoir conscience.

Nous sommes pour l’instant plutôt sur la partie du déploiement prérequis techniques. Néanmoins, j’ai bien identifié le fait qu’il va y avoir un cap important à passer d’un point de vue métier sur les modes de travail. Le SI ne remplace pas les processus et procédures, par conséquent, il faut associer progressivement les équipes dans le projet pour éviter qu’elles ne soient confrontées à l’outil sans avoir connaissance des impacts au niveau métier. Ça me parait donc essentiel de bien anticiper la communication, l’accompagnement au changement, les formations.   

C’est un projet qui s’inscrit dans un cadre global de fonctionnement de nos établissements, d’accueil et d’accompagnement au quotidien. Il faut être conscient que c’est un projet engageant qui demande un investissement de la part de chacun.  Il  faut  vraiment  que  chaque  décideur soit présent ou se fasse représenter

dans les phases de choix. Et puis il faut également avoir conscience que la réussite du projet ne dépendra pas de la grappe mais de l’engagement local, de la direction jusqu’aux équipes. En effet, un manque de réactivité d’un établissement ou un non-respect des remontées d’indicateurs dans les délais impartis pourrait gêner la réussite globale du projet.   

Pour la grappe que nous formons, ce que nous avons apprécié et qui nous paraissait indispensable pour le dépôt du dossier de réponse à l’appel à projet, c’était l’accompagnement que l’on a pu avoir du Collectif SI. A 15 établissements, nous n’aurions jamais réussi à faire un dossier aussi précis, complet.    

Quels sont les points de vigilance que vous souhaiteriez partager avec les participants aujourd’hui ? 

A. Bernard : Je dirais qu’il est important de ne pas oublier l’objectif final : améliorer la prise en charge en soins, le partage et l’échange fluide de données. L’importance reste et restera le résident. Il faut également être conscient que c’est un projet qui demande du temps et que l’on ne s’engage pas que pour soi mais pour tout un groupe, c’est le sens du collectif. Aussi, chacun a sa part de responsabilité pour influer sur les pratiques et les processus de changement et chacun doit faire le maximum de ce qu’il peut faire. Il est nécessaire d’être motivé, d’avoir l’envie de mobiliser les personnes. 

Nous remercions Monsieur MALLET ainsi que Madame BERNARD pour leur témoignage sur la coopération et sur le déploiement du DUI interopérable au sein de leurs structures. 

Le Collectif SI Social et Médico-Social souhaite à ces deux acteurs une bonne poursuite dans leur projet ! 

Vous souhaitez en savoir plus sur la coopération, essentielle pour répondre à l’appel à projet ESMS Numérique ?

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